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CHRISTIAN GUIGUEIMPRESSIONS D'INITIATION
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MA
RECEPTION DANS L'ORDRE
Je ne métais pas à proprement parler " préparé " pour cette cérémonie dInitiation, désirant conserver le plus de spontanéité possible pour mieux ressentir et apprécier lévénement. Il me semblait quà trop y penser à lavance, je risquais de déformer ma perception en interposant entre la cérémonie et moi le filtre déformant didées préconçues. Jarrivais largement en avance afin de pouvoir marcher un peu dehors sous les étoiles, car jai toujours besoin de me recueillir dans la Nature avant les grands événements. Et me voici dans le cabinet de réflexion. La rupture entre le monde extérieur et cette pièce sombre est soudaine, cest le premier choc de la soirée. Demblée, je perçois que tout a commencé. Jobserve attentivement ce décor et ces objets, dont la signification méchappe en grande partie. Le souffre, le sel et le mercure se rapportent à lAlchimie et me soufflent que je dois ce soir opérer sur moi-même une transmutation pour passer du Profane à lInitié. Le pain et leau me renvoient aux provisions dont les anciens Egyptiens munissaient leurs morts pour leur voyage vers lau-delà. Jai par contre du mal à comprendre pourquoi le coq voisine avec le crâne, la faux et le sablier, cest à dire la Mort vers laquelle nous entraîne le Temps. Jignore le temps qui mest imparti, aussi je remplis immédiatement le questionnaire fourni. Ce faisant, jessaye dêtre aussi spontané que possible, sans chercher " la " bonne réponse qui, de toutes manières, nexiste pas. Mon testament philosophique est rapidement fait lui aussi. Je nai pas grand chose à léguer, sinon lespoir davoir été à peu près droit, le regret de ne pas avoir fait mieux, et enfin recommander ceux qui restent à Dieu. Et me voici seul dans cette faible lumière, seul face à mon reflet dans ce miroir. Cela dure et dure encore, et je comprends quil faut que ce soit long, précisément pour provoquer ce face à face avec moi-même. Je dois bien regarder celui que je suis droit dans les yeux, sonder mon cur et mon âme et me dire que oui, décidément, je veux devenir un autre ce soir. Pour cela, je dois mourir dune certaine façon afin de renaître et, du coup, je vois pourquoi le coq voisine avec la Mort : il chantera lAube qui poindra après la Nuit dans laquelle je me trouve. Et cela fonctionne : lorsque lon vient me préparer, je ne suis déjà plus le même, je ne suis plus tout à fait dans le monde extérieur. Je ne suis dailleurs pas choqué par ma tenue ; le cur à nu, claudiquant, la corde au cou et les yeux bandés, je suis bien plus réceptif à ce tout qui mentoure. Lisolation dont je sors my a préparé, la privation de la vue my aide encore. Notre société fait bien trop de place à la vue, au spectaculaire. Je ne dois pas voir, parce la vue inhibe les autres sens. Je pense aux paroles de mon bien-aimé Saint-Exupéry : " On ne voit bien quavec le cur, lessentiel est invisible pour les yeux. " Lentrée dans la Loge est un second choc, avec ce jeu compliqué de questions/réponses. Je passe la porte courbé en deux, probablement en signe dhumilité, " par la petite porte ". A partir de ce moment, je me laisse guider avec la plus totale confiance par les mains qui me dirigent et les voix qui me soufflent mes réponses. Je sens avec certitude quil me faut soit faire confiance, soit tout arrêter, mais cette dernière éventualité ne me vient même pas à lesprit, même lorsque je sens une arme sur mon cur. Le formalisme du rituel ne métonne donc pas, je laccepte sans le comprendre, ce qui est dailleurs inhabituel chez moi ! Je suis par contre bien plus frappé par le nombre de fois où lon me demande de confirmer ma volonté dentrer en Maçonnerie . Mentalement je les compte et arrive au total de neuf, trois fois trois. Bien que décidé, je suis quelque peu ébranlé par cette insistance. Est-ce donc si terrible de demander la Lumière ? Il semble bien que oui, car les événement se précipitent. Entre la coupe amère promise aux parjures, les voyages semés dobstacles dans le tumulte et le fracas des armes puis le serment genou en terre, je réalise avec de plus en plus de force que rien ne sera plus comme avant. Je suis saisi dun tremblement nerveux. Ce nest pas la peur : jai juste envie daller de lavant, que le bandeau tombe enfin et darriver au terme, non par simple impatience, mais parce que je suis maintenant sûr et certain, malgré les mises en garde et les épreuves ou même à cause delles - de vouloir être Maçon. Cétait sans doute la raison dêtre de ce rituel : mamener à être totalement présent dans lacte au moment du serment final. Le bandeau tombe enfin sur une scène impressionnante : les colonnes, les flambeaux, le damier, un corps étendu sous un linge en sang et des épées pointées sur moi, je vois tout en un éclair, sous le delta lumineux. Cest le troisième grand choc. Cétait aussi le dernier coup pour nous éprouver, mon jumeau et moi. A partir de notre retour dans une tenue moins déstabilisante, je sens sous le bandeau que lambiance est moins tendue, mais au contraire de plus en plus chaleureuse. Je note que lon ne nous appelle plus " profanes " et que nous sommes intégrés à une chaîne humaine. Nous commencerions donc à être acceptés. Il ne manque plus que la lumière. La voici de nouveau, et plus dépée ni de cadavre, juste une mise en garde contre nous-mêmes, notre pire ennemi. Il me semble ensuite que tout va très vite. Je ne sais pas si cest la vue retrouvée ou lémotion et la joie darriver au bout des épreuves, mais tout se confond dans un formidable élan. La réception par le Vénérable Maître après mon serment final me fait penser à un adoubement chevaleresque. Les trois verbes simpriment dans ma mémoire : " je vous crée, constitue et reçois apprenti Franc-Maçon " Linstant est extraordinairement intense et émouvant, tout comme le moment où lon me ceint du tablier blanc. Jai réellement limpression dêtre reçu Chevalier du Graal, et jamais nom ne ma paru plus approprié que celui-ci. A partir de ce moment, je suis si ému que tout se mêle et se brouille dans mon esprit et ma mémoire: mes trois premiers coups malhabiles sur la pierre brute, linstruction, le discours du Frère Orateur et la fin de la Tenue, à la place qui est désormais la nôtre, sur la colonne du Nord. " La nôtre " car mon jumeau est là, tout aussi ému que moi, je le sens. Enfin, on brûle nos dernières volontés de profanes, signe que nous sommes bel et bien au seuil dune nouvelle vie. Il ne reste plus de lhomme ancien quun peu de cendres, à conserver pour se souvenir de ce passage, de cette transformation qui vient de sopérer. Puis nos Frères nous félicitent, amplifiant par leur accueil chaleureux cette grande joie et cette immense émotion. Je repense alors à mon entrée dans le cabinet de réflexion. Oui, les choses ont bien changé depuis lors. Une porte sest ouverte, tenue par des mains fraternelles qui mont ensuite guidé dans ma nuit. A tous, je dois cette joie, à tous je dois davoir vécu lune des plus intenses soirées de ma vie. A tous, je dois de pouvoir me dire cette chose que je sais, mais que jai encore du mal à croire et à réaliser : Je suis Franc-Maçon ! A vous tous mes Frères, merci ! J'ai .... V.M.
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